Les militaires qui défilent lundi disposent du plus faible budget de la défense depuis 1960.
Ose-t-on imaginer dans quelle ambiance ce 14-Juillet aurait été célébré si, à la mi-mai, les chefs d'état-major avaient mis leur menace à exécution? La menace de démissionner, comme ils l'avaient laissé entendre lors d'une réunion au sommet le mardi 13 mai. Deux jours plus tôt, l'UMP Xavier Bertrand avait révélé sur Europe 1 que le budget de la défense allait encore être amputé de 2 milliards d'euros alors que la loi de programmation militaire, votée en décembre, venait de sanctuariser les dépenses à 31,4 milliards. "Si on enlève une brique à l'édifice, le mur s'écroule", disait-on alors dans l'entourage du ministre, Jean-Yves Le Drian. Ce dernier a donc lié son sort aux révoltés galonnés. "Si on change de loi de programmation militaire, il faudra changer de ministre", aurait dit en substance Le Drian aux chefs d'état-major. Après les avoir rassurés, il a fait comprendre au président de la République qu'il ne serait pas l'homme d'une trahison. Mais il faudra attendre le 2 juin avant que François Hollande, à l'issue d'un conseil de défense, tranche : "La trajectoire budgétaire sera sanctuarisée."
Ce qui n'empêche pas le débat sur les dépenses militaires de se poursuivre. Tout au long de ce semestre s'est ainsi tenue devant la commission de la défense de l'Assemblée nationale une succession d'auditions sur la dissuasion nucléaire. À quel prix la maintenir? Peut-on supprimer l'une de ses composantes, comme le souhaite l'ancien ministre de la Défense Hervé Morin. Le budget de cette politique de dissuasion a beau avoir diminué de moitié en volume depuis la chute du mur de Berlin, il représente toujours un cinquième de l'enveloppe globale affectée aux armées.
Créée en 1964, la composante aérienne française de la dissuasion nucléaire repose sur deux escadrons d'une vingtaine d'avions chacun. Basés à Saint-Dizier et à Istres, les Rafale B et les Mirage 2000 N peuvent emporter des missiles air-sol moyenne portée (ASMP-A) porteurs d'une charge nucléaire équivalants à quinze fois la bombe de Hiroshima. Lors de son audition devant la commission en avril dernier, le général Patrick Charaix, commandant des FAS (forces aériennes stratégiques), avait mis l'accent sur la souplesse d'emploi de la composante aérienne : "Elle permet au président de la République de prouver sa détermination en faisant décoller un raid nucléaire tout en lui offrant la possibilité de rappeler les avions si cette action démonstrative ramenait l'adversaire à la raison."
De Serval au "raid nucléaire"Souplesse, donc, par rapport à l'autre composante, océanique stratégique, celle des missiles embarqués sur les quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, dont un patrouille en permanence sous les eaux du globe. Un raid nucléaire? Face à quel ennemi? "Vu ce qui se passe en ce moment, ce serait de la folie que de renoncer à l'une des deux composantes", confie-t-on dans l'entourage de Jean-Yves Le Drian. Allusion au climat ambiant qui, de l'Ukraine à l'Iran en passant par l'accélération et la modernisation des armées chinoise et russe, n'est pas des plus sereins. Et puis, il faut tenir compte de l'Otan. Lors du sommet des chefs d'État de l'Alliance en septembre prochain, Barack Obama devrait une nouvelle fois demander aux Européens de maintenir des budgets de défense qui les rendent plus autonomes. Les États-Unis ont réduit depuis longtemps leur voilure militaire en Europe pour la mobiliser vers l'Asie et la mer de Chine.
Quant à l'Europe de la défense, si elle progresse sur le plan industriel, comme en témoigne le nouvel axe de coopération franco-britannique sur les drones qui sera dévoilé cette semaine au salon aéronautique de Farnborough, elle n'est pas pour demain. C'est dans ce contexte que le budget 2015 des armées, le plus faible en pourcentage du PIB depuis 1960 (1,5 % contre près de 5 %), doit doter "l'ensemble du spectre" militaire français. À l'heure où les soldats des opérations Serval et Sangaris se plaignent parfois de fonctionner avec des "bouts de ficelle", la question se pose de savoir si l'ambition française correspond à ses moyens.