DÉCRYPTAGE
Voulant agir seul mais soumis à l’accord des Américains, Paris n’a effectué que deux raids contre l’Etat islamique.
Vendredi, l’armée française n’avait effectué que deux frappes (les 19 et 25 septembre) sur des positions de l’Etat islamique en Irak, depuis le lancement de l’opération «Chammal». Un résultat modeste lié paradoxalement à la volonté d’autonomie manifestée par Paris.
COMMENT EXPLIQUER CE NOMBRE LIMITé ?
Lors du déclenchement des opérations aériennes en Irak, le président de la République a assuré que l’armée française agirait de manière autonome. La réalité est plus complexe : lors d’une frappe, si l’ordre ultime de tir émane bien du commandement français, Paris doit coordonner son action avec le leader de la coalition pour éviter tout incident ou doublon. Autrement dit : agir en concertation avec le commandement américain installé au Qatar, lui-même en liaison avec le QG de Tampa (Floride).
«Les Américains font la police du ciel au-dessus de l’Irak», résume un observateur. Mais refusant de jouer les «supplétifs» de Washington, Paris veut choisir ses cibles en connaissance de cause, sur la base de ses propres renseignements recueillis grâce à des moyens satellitaires et aux missions de reconnaissance effectuées par les Rafale stationnés aux Emirats arabes unis. «Trois jours de reconnaissance ont été nécessaires avant la première frappe, note l’eurodéputé (UMP) Arnaud Danjean, spécialiste des questions de défense. Contrairement aux Américains et aux Britanniques, nous connaissons mal le terrain irakien, et si on veut maîtriser la chaîne de bout en bout, cela prend du temps.» L’essentiel des missions menées par l’aviation française depuis le 15 septembre a été consacré au renseignement. «La mission de nos forces consiste à fournir de l’appui aérien aux forces irakiennes et aux combattants kurdes : cela passe par des frappes, mais aussi et surtout par la fourniture d’informations à nos alliés», dit-on à la Défense.
UN «VETO» AMéRICAIN ?
«Depuis le début de l’intervention, les Américains ont retoqué toutes nos propositions de frappes, sauf celle du 19 septembre dans la région de Mossoul, assure un haut responsable français. Ils arguent que nos "dossiers d’objectifs" [les cibles définies à l’avance, ndlr] ont besoin d’être réactualisés. Nous sommes de fait intégrés au dispositif dirigé par les Américains.» A Paris, l’état-major réfute pourtant toute idée de veto technique bridant son action, évoquant seulement «un dialogue permanent» entre alliés sur l’opportunité de frapper tel ou telle cible. «Les Américains ne nous sifflent pas pour qu’on rapplique», clame cet officier supérieur. Ils peuvent néanmoins demander discrètement de revoir la copie. «En Irak, nous faisons face à un adversaire très mobile», avance le même officier à propos du nombre limité de frappes françaises, lesquelles ont visé des cibles statiques (un dépôt de carburant et de munitions près de Mossoul, une base militaire à Fallouja). Or le meilleur moyen de «rafraîchir» un renseignement avant de déclencher une frappe est encore de disposer de commandos au sol. «En Libye, nous avions des forces spéciales, précise une source bien informée à Paris. En Irak, nos militaires forment les combattants kurdes auxquels nous avons livré des armes.» Lesquels pourront, demain, guider les avions de la coalition.
LA FRANCE A-T-ELLE LES MOYENS DE SES AMBITIONS ?
Le dispositif français impliqué est très limité : 6 Rafale, un avion de surveillance de type Atlantique 2 et un avion ravitailleur C-135, le tout encadré par 750 militaires aux Emirats arabes unis. «On ne peut pas faire des miracles», juge un expert. «En Irak, nous effectuons des frappes avant tout diplomatiques», renchérit le député européen Arnaud Danjean. «Obama, qui s’était fait élire en promettant le retrait d’Irak, a bien besoin des Français sur la photo», note un responsable français. Pour l’instant, Paris n’envisagerait pas de muscler son dispositif. Pour des considérations géostratégiques : «La vraie priorité de Paris reste la Libye», dit une source.
Les autorités françaises s’alarment en effet du regain d’activité des groupes terroristes dans la bande saharo-sahélienne, qui ont établi leur base arrière dans le Sud libyen. En participant à la coalition en Irak, Paris escompte en retour un soutien actif à une future action en Libye. Les raisons financières jouent aussi. Alors que le budget alloue cette année 450 millions au financement des opérations extérieures («Opex»), «on est sur une trajectoire de 1,2 milliard d’euros à la fin de l’année», dit un responsable français. Le déploiement de 3 000 hommes dans le Sahel et la difficulté à désengager les 2 000 militaires déployés en Centrafrique pèsent. Théoriquement, le dépassement du budget Opex est pris en charge par tous les ministères, y compris par la Défense, au prorata de son poids dans le budget (environ 20%). En fait, le financement de la loi de programmation militaire (2014-2019) est déjà tributaire de l’obtention de recettes exceptionnelles. La France est rattrapée par le principe de réalité.
↧
La France, force de frappe limitée en Irak
↧