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Thales, l'assurance vie de Dassault

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Actionnaire de référence de Thales, le groupe d’électronique militaire, au côté de l’État, Dassault maîtrise ainsi l’évolution du Rafale. Et joue un rôle central dans l’industrie de défense française.

Dans la campagne de Limours (Essonne), le bâtiment du groupe Thales paraît perdu au milieu de nulle part.

Un détail trahit l’activité du site : au sommet de l’édifice principal, une antenne de radar tourne inlassablement. D’autres équipements, invisibles depuis le parking, ont eux aussi été installés sur les toits, l’endroit idéal pour réaliser des tests avant la livraison aux clients. La France vient justement de commander 16 radars – dont certains sont capables de détecter un appareil à plus de 400 km de distance ! – pour assurer la surveillance du territoire.

Le site de Limours avec ses 800 salariés, majoritairement des ingénieurs, est à l’image de sa maison mère : discret et pourtant indispensable aux grands programmes français de défense. Thales, dont l’effectif de la force de frappe compte 25 000 ingénieurs, c’est tout simplement le champion hexagonal de l’électronique de défense. Ses technologies sont au cœur des systèmes de combat du pays : Rafale, défense anti-aérienne, sous-marins nucléaires… L’électronicien occupe une position incontournable dans l’industrie de défense tricolore [lire aussi page 32].

Alors quand il a fallu, à la mi-octobre 2014, désigner le nouveau patron du groupe pour succéder à Jean-Bernard Lévy, à qui le chef de l’État avait proposé la présidence d’EDF, la décision n’a pas été facile à prendre. Entre l’État actionnaire à 26 % et Dassault Aviation (25 %), les négociations ont été tendues, avec de multiples rebondissements : conseil d’administration décisif annulé à la dernière minute, nomination d’un PDG par intérim, changement de gouvernance… Un spectacle peu goûté par les syndicats et qui n’était pas de nature à rassurer les 65 000 salariés du groupe, en attente de connaître leur troisième PDG en cinq ans !

Après neuf semaines d’incertitudes, un accord est trouvé le 23 décembre. La prochaine assemblée générale nommera Patrice Caine, l’ancien numéro deux du groupe, comme directeur général, et Henri Proglio, l’ex-patron d’EDF, comme président non exécutif [lire page 34]. Le gouvernement a dû composer avec un actionnaire de poids : la famille Dassault, ulcérée par le débauchage de Jean-Bernard Lévy. Mais la surprise a rapidement laissé place aux grandes manœuvres et à la mobilisation des réseaux.

Des liens forts grâce au Rafale
En quelques semaines, les Dassault avaient réussi à faire jeu égal avec l’Etat en obtenant un cinquième siège d’administrateur. Et surtout, ils réussissaient à placer à la tête de Thales l’un de leur proche, Henri Proglio, administrateur de Dassault Aviation. "Un coup parfait en termes de surveillance de ses intérêts", juge un observateur. L’Etat a mis du temps à réagir. Il l’a fait cette semaine. Le dernier coup de théâtre a en effet eu lieu ce mardi 27 janvier, quand le groupe a annoncé que l'assemblée générale convoquée le 4 février, destinée à mettre en place sa nouvelle gouvernance, était reportée à une date ultérieure.

"L’Etat et Dassault Aviation ont estimé que la mise en œuvre effective de la dissociation des fonctions de président et de directeur général nécessitait au préalable la nomination de deux administrateurs supplémentaires", indique le communiqué du groupe. Ainsi, l’Etat garde la main. Cette bataille illustre bien le fait que Thales est au centre du jeu de la Défense, et que la participation dans le groupe d’électronique est stratégique pour Dassault Aviation. A tous les niveaux.

Le premier lien qui unit fortement les deux sociétés, c’est le Rafale. "En contrôlant Thales, Dassault contrôle l’évolution technologique de son produit et son prix à l’exportation", explique Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). L’avion de combat pèse pour un quart du chiffre d’affaires du groupe dirigé par Serge Dassault. L’électronique de Thales représente 25 % de la valeur de l’avion de combat. Si l’appareil reste à la pointe de l’innovation dans les systèmes de guerre, c’est grâce à l’évolution de son expertise électronique et de ses logiciels, plus qu’au fuselage ou à l’aérodynamisme.

L’électronicien a ainsi permis au Rafale d’être le premier chasseur européen à bénéficier, dès 2012, du fameux radar à antenne active, capable de repérer des cibles toujours plus furtives. Début 2014, l’électronicien s’est aussi vu confier par la Délégation générale de l’armement (DGA, c’est-à-dire le ministère de la Défense) le contrat de développement d’un POD (nacelle) de désignation laser de nouvelle génération, qui permettra au Rafale de mieux frapper ses cibles de jour comme de nuit.

Mais l’intérêt de Dassault pour son fournisseur dépasse largement le cadre du Rafale. Depuis qu’il a repris, en 2008, la participation d’Alcatel au capital de Thales, l’avionneur a acquis une nouvelle dimension. "Cela a donné à Dassault une place centrale dans l’industrie de défense française", note un spécialiste de l’industrie d’armement. Satellites militaires, systèmes de contrôle, de commandement et de radiocommunications des armées, équipements de détection des sous-marins, radars de défense anti-aérienne… Thales est partout [lire aussi page 28] !

"Seuls les américains font jeu égal avec nous. D’une façon plus générale, je crois qu’il n’y a pas de grands systèmes d’armes ou de défense en service dans les armées qui ne soit littéralement innervé par des équipements, des logiciels ou des solutions provenant de Thales", indiquait Jean-Bernard Lévy devant la commission de défense du Parlement en 2013, lors des auditions sur la loi de programmation militaire. Thales, enfin, détient 35 % de DCNS, le champion national des sous-marins et autres navires de combat, constructeur du porte-hélicoptères "Vladivostok", dont la livraison à la Russie est suspendue.

Dassault – 11 600 salariés pour un chiffre d’affaires de 4,6 milliards d’euros – voit son action démultipliée par celle de Thales – 65 000 salariés pour un chiffre d’affaires de 14,2 milliards d’euros. En 2013, l’électronicien a reçu de l’État pour 1,47 milliard d’euros de commandes, juste derrière Airbus Group (1,9 milliard) et DCNS (1,8 milliard). Mais l’électronicien est, de loin, le premier bénéficiaire des financements à l’innovation pour préparer les équipements des armées de demain. Ainsi, en 2013, la DGA lui a octroyé une aide de près de 200 millions d’euros, soit plus du double de celle accordée à n’importe quel autre groupe de défense.

À l’écart des grandes manœuvres

Il ne faut pas négliger la dimension patrimoniale de cette participation pour la famille Dassault. L’avionneur s’est intéressé de près à la direction opérationnelle de Thales pour redresser une profitabilité plutôt faible, victime par le passé d’une mauvaise gestion des grands programmes. "Thales a eu du mal à transformer son excellence technologique en croissance et en rentabilité", reconnaît un haut cadre du groupe. Aujourd’hui, les résultats se sont améliorés et l’actionnaire Dassault en récolte les fruits : la contribution de Thales dans ses comptes s’est élevée à près de 300 millions d’euros en 2012 et en 2013. Mais 2014 sera un moins bon cru : l’électronicien verra ses bénéfices amputés de 100 millions d’euros pour éponger les lourdes pertes de DCNS.

Cette vision patrimoniale pourrait d’ailleurs expliquer l’immobilisme apparent de Thales depuis 2008. "Dassault donne parfois le sentiment qu’il n’a pas de vision stratégique de ce que devrait être Thales", juge Jean-Pierre Maulny, de l’Iris. L’entreprise reste à l’écart des grandes manœuvres stratégiques de recomposition de la défense européenne. Sa dernière opération d’envergure fut le rachat du groupe Racal pour doubler de taille au Royaume-Uni… en 2000 ! Un sacré contraste avec l’activisme dans la défense de Tom Enders, le patron d’Airbus Group, ces derniers mois.

Étroitement associé à Thales, Dassault joue son avenir à long terme dans la défense. Avec l’électronicien, il accroît ses chances de monter à bord de l’avion de combat de prochaine génération, le successeur du Rafale, à l’horizon 2030. Cet appareil sera le fruit d’un programme de coopération européen, plus aucun pays n’ayant les moyens de financer seul un tel développement. Dassault pourrait donc devoir partager la maîtrise d’œuvre d’un programme de cette envergure. Comme c’est déjà le cas avec son partenaire britannique BAE Systems dans le cadre d’une étude de faisabilité d’un drone de combat pour lequel Thales, associé à un partenaire outre-Manche, a aussi décroché son ticket.

Des opérations stratégiques

Dassault pourrait-il aller plus loin dans ce partenariat à ce point stratégique ? Certains n’hésitent plus à avancer le scénario d’une fusion entre les deux sociétés. Henri Proglio, l’homme de confiance de la famille Dassault, aurait été nommé président du groupe d’électronique pour préparer cette échéance. Mais d’autres opérations stratégiques pourraient se révéler plus opportunes pour Thales. "Un rapprochement avec l’italien Finmeccanica serait des plus intéressants. En fusionnant ces deux concurrents directs, on éviterait une guerre des prix et cela permettrait de rationaliser leurs efforts commerciaux et leurs investissements en R & D", juge le spécialiste de la défense d’un cabinet de conseil.

Une petite partie du chemin a déjà été faite : les deux groupes ont réuni leurs activités spatiales (services et satellites) dans des coentreprises de part et d’autre des Alpes. Les mouvements initiés par ailleurs avec Safran, avec la constitution de filiales communes, pourraient aussi être amplifiés.

L’État, l’autre actionnaire de référence de Thales, aura son mot à dire. Dassault, imposé par Nicolas Sarkozy en 2008 au détriment d’Airbus Group (ex-EADS), reste-il d’ailleurs le meilleur actionnaire pour l’électronicien ? Pas sûr. Les priorités de l’avionneur peuvent même s’opposer aux intérêts commerciaux de son fournisseur. Pour conserver sa supériorité technologie, le groupe de Serge Dassault s’est ainsi opposé à ce que Thales fournisse ses équipements à ses concurrents, et notamment au suédois Saab, fabricant du Gripen. Pas de chance pour Thales : le Gripen est sorti vainqueur au Brésil et en Suisse… contre le Rafale.

En 2017, si rien n’a bougé d’ici là, Dassault pourrait profiter d’une éventuelle alternance politique pour augmenter sa participation au capital de Thales. Une autre échéance est à prendre en compte : la succession de Serge Dassault, qui approche 90 ans. Thales, actif stratégique pour Dassault ou simple participation financière ?




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