Le Président de la Commission européenne a appelé le 8 mars à la formation d’une « armée européenne » pour faire face à une Russie « menaçante » (source : Die Welt).
« Une telle force pourrait permettre aussi bien de faire face aux nouvelles menaces aux frontières de l’Union européenne que de défendre les valeurs de l’UE », a déclaré Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne le 8 mars dans une interview publiée par le journal allemand Die Welt.
Si la proposition de M. Juncker a été rejetée presque aussitôt par les États membres fondateurs, se pourrait-il que la formation d’une Force aérienne européenne gagne des partisans alors que les budgets militaires européens sont au régime sec ?
Généralement, les coûts d’équipement des forces aériennes éclipsent ceux de l’armée de terre et de la marine en termes d’approvisionnement, d’exploitation, et de maintenance. Aussi, une mutualisation des ressources militaires permettraient aux États membres de partager ce fardeau financier.
Les rapports de force
Jean-Claude Juncker.
Jean-Claude Juncker.
L’Union européenne comptent au total 510 millions d’habitants au sein des 28 États membres sur un territoire de 4.422.773 km². À titre de comparaison, les États-Unis compte environ 320 millions d’habitants sur plus de 9.857.306 km², tandis que la Russie affiche une population de plus de 145 millions sur 17.098.242 km². Bien qu’il existe des différences entre les populations, l’UE, la Russie et les États-Unis représentent trois blocs de puissance assez similaires en termes de statut et d’exigences de défense territoriale.
En termes de moyens budgétaires attribués aux forces aériennes, le Royaume-Uni est actuellement en tête au sein de l’UE avec 16.8 milliards de dollars alloués à la Royal Air Force en 2015. L’US Air Force reçoit 154.1 milliards de dollars, tandis que la force aérienne russe obtient 11.3 milliards de dollars (le rouble russe a presque diminué de moitié en valeur au cours des six derniers mois par rapport au dollar américain si bien que le budget réel de la Force aérienne russe est, en fait, plutôt aux environs de 20 milliards de dollars).
Si l’UE veut mutualiser ses dépenses militaires, elle devra dépenser 69.3 milliards de dollars pour sa force aérienne, ce qui lui donnerait un avantage significatif face à la Russie, qualifiée de « menace » par Jean-Claude Juncker qui appelle à la création d’une armée européenne.
Les États membres de l’UE comptent environ 1370 avions de combat (seuls les aéronefs ayant un rôle de « défense aérienne » sont comptabilisés), comparativement à 1 391 avions de combat pour les États-Unis, et 1276 avions de combat pour la Russie (les avions d’attaque sont ici inclus dans les chiffres puisqu’il s’agit de la force « menaçante »).
Une force aérienne mutualisée mettrait donc de mettre l’UE sur un pied d’égalité avec la Russie et les États-Unis. Toutefois, chaque État membre acquiert ses avions de combat comme il l’entend, si bien que l’inventaire européen demeure très hétéroclyte mêlant d’anciens chasseurs soviétiques comme le MiG-29 Fulcrum en Bulgarie, avec des Eurofighter britanniques (photo). Une harmonisation des types de plateformes permettrait d’économiser de grandes quantités d’argent dans l’acquisition, l’exploitation et bien sûr la maintenance de son aviation.
Par ailleurs, les acquisition d’aéronefs suivent des intérêts nationaux plutôt que les priorités de l’UE. Cela signifie que des pays tels que l’Autriche et la République tchèque opèrent les plateformes les plus modernes alors qu’ils sont entourés de pays amicaux, tandis que les pays les plus à l’ouest du continent s’offrent la part du lion de l’inventaire des chasseurs de 4e et 5e génération (Rafale, F-35), alors qu’ils sont les plus éloignés de la Russie. Dans ces conditions, il faudrait repenser la répartition stratégique des forces.
Si la perspective d’une Force aérienne européenne peut être difficile à mettre en oeuvre, un prémice de mutualisation est déjà mis en œuvre avec l’accord récent entre la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas de partager la police de l’air de leur territoires. Cet accord, qui a été signé le 4 mars 2015, verra la composante aérienne belge et des Pays-Bas se relayer en gardant deux F-16 en alerte à partir de 2016. Ce faisant, ils deviendront les premiers pays du monde à pratiquer un tel accord militaire, et, en fonction des résultats, pourrait bien ouvrir la voie à une initiative européenne à grande échelle dans un avenir proche.
Les obstacles à une armée européenne
L'OTAN est déjà en soi une force armée européenne (sous contrôle américain).
L’OTAN est déjà une force armée européenne créée pour affronter la Russie.
Pour qu’une telle force devienne réalité, il faudra d’abord surmonter une foule d’obstacles pratiques. À commencer par les priorités et les responsabilités nationales des États membres. Si une crise éclatait par exemple comme celle des Malouines en 1982 entre le Royaume-Uni et l’Argentine, il est peu probable que les 27 autres pays membres accepteraient de s’engager dans une guerre « coloniale » qui est celle d’un voisin. Par ailleurs il existe de nombreux conflits territoriaux au sein même de l’UE, comme celui de Gibraltar entre l’Espagne et le Royaume-Uni, qui peuvent créer des divergences d’intérêts.
Reste aussi la question de la relation qu’aurait cette armée de l’air de l’UE avec l’OTAN. Certains pays européens membres de l’OTAN ne sont pas adhérents à l’UE tels que la Norvège et la Turquie (qui a en outre un contentieux territorial avec Chypre membre de l’UE). Certains pays sont traditionnellement neutres et non-alignés comme la République d’Irlande et la Suède. Ils pourraient être mal à l’aise à l’idée de s’engager dans une armée européenne ouvertement créée pour affronter la Russie.
Hormis ces problèmes pratiques, les arguments politiques sont aussi nombreux. Lorsque M. Juncker affirme que l’Europe est confrontée à un niveau de menaces externes sans précédent, il négligé de mentionner les menaces intérieures comme le terrorisme qui constitue une menace urgente.
Par ailleurs, des pays souverainistes comme le Royaume-Uni (qui serait sans doute un pilier de la défense européenne avec la France) demeure hors de l’espace Schengen et comportant de nombreux opposants à l’abandon de sa souverainté militaire.
Au final, si la création d’une force aérienne européenne peut se justifier pour des raisons monétaires et militaires, elle risque aussi de provoquer plus de tensions qu’elle n’en résoud. Des tensions politiques mais aussi chez les peuples qui s’irritent déjà de la perte de souverainté économique et politique.
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Faut-il une force aérienne pour l'Europe ?
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