Drôle d’histoire qui s’est passée en fin de semaine dernière à Paris. En trois jours de visite officielle, le Premier ministre indien Narendra Modi a débloqué une situation qui traînait depuis trois ans : l’acquisition, par l’Inde, de l’avion de combat français Rafale (Dassault, Snecma, Thales).
Enfin, c’est un peu plus compliqué que ça. "J’ai demandé au président Hollande de nous fournir 36 Rafale, clés en main", a déclaré M. Modi. L’on est donc très loin des 126 unités, dont 108 assemblées en Inde, en négociation depuis 2012. Survenant quelques semaines après l’achat, par l’Egypte, de 24 Rafale, premier succès de l’appareil à l’exportation, cette annonce a surpris tous les observateurs. Pour justifier l’achat précipité de ces 36 avions "prêts à voler", le Premier ministre indien a parlé d’un "besoin opérationnel crucial" .
Certes, les relations de l’Inde avec ses deux grands voisins, le Pakistan à l’ouest, la Chine au nord, sont tendues, et les incidents frontaliers fréquents. Certes, l’India Air Force présente des équipements bien inférieurs à ce que prévoit le cadre.
Dans son cas, le matériel est surtout très disparate, avec le Soukhoï Su-30MKI comme fer de lance, des MiG-29 mais aussi 50 MiG-21, avion qui a fait la guerre du Vietnam, côté nord, et celle des Six Jours - surtout au sol -, dans les rangs égyptiens...
Dans le même temps, l’armée de l’air indienne a entrepris un grand programme d’actualisation, notamment de ses 51 Mirage 2000, dont les deux premiers exemplaires modernisés viennent d’être livrés. Comment comprendre alors ce "besoin opérationnel crucial" dont parle Narendra Modi ? D’autant que, s’il apporte un coup de jeune à l’India Air Force, le Rafale n’arrange rien quant à son côté hétéroclite.
Alors, cette justification couvre peut-être une autre réalité : l’incapacité du partenaire indien de Dassault, Hindustan Aeronautics Limited (HAL) à tenir ses engagements. Société d’Etat, HAL fournit à l’India Air Force le Kiran (entraînement) et le Tejas (chasse). Elle participe aussi à la modernisation des Mirage 2000 pour Dassault, ce qui a fait penser qu’en Inde, une chaîne d’approvisionnement crédible peut être établie.
Autre paire de manches
Mais assembler 108 Rafale, c’est une autre paire de manches, car l’on parle là d’un avion de combat de 4e génération, "omnirôle". Dans l’affaire, l’Inde bénéficierait d’importants transferts de technologies, qui pourraient permettre à son industrie de décoller pour de bon. Encore faut-il les assimiler, ces technologies. L’achat précipité de 36 Rafale "clés en main" à Dassault indique que le géant indien n’est pas encore prêt. Ce curieux épisode montre les limites de l’industrialisation rapide de certains pays émergents. Pour aligner un avion de combat sophistiqué, l’Inde doit encore l’acheter à l’étranger.
Malgré ses ambitions, ce n’est pas demain que ce pays perdra la réputation d’être le premier importateur mondial de matériel militaire, comme l’indique le pragmatisme de Narendra Modi. Quant aux négocations avec l’avionneur pour 126 appareils, dont 108 assemblés en Inde, il est fort probable qu’elles tournent court, le ministre indien de la Défense ayant déclaré lundi que les prochaines négociations auraient lieu directement avec le gouvernement français. Le marché du siècle a du plomb dans l’aile.
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Curieux contrat indien pour le Rafale
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