Les deux ministères s'opposent sur le projet de location d'armement. L'enjeu : trouver 2,2 milliards cette année.
Qui de Michel Sapin ou de Jean-Yves Le Drian va remporter la bataille du très controversé projet de location d'armement, objet d'un intense bras de fer entre Bercy et la Défense ? A l'origine du différend, les 2,2 milliards de recettes exceptionnelles prévus pour boucler le budget 2015 de l'armée et censés provenir de la cession des fréquences de la TNT. Les enchères sont prévues pour la fin de l'année. Le ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, pousse - il a reçu les patrons des 4 opérateurs télécoms vendredi. Mais beaucoup n'y croient pas, la Défense en tête.
Avec l'aval de François Hollande (« Les Echos » du 23 février), les équipes de Jean-Yves Le Drian ont donc étudié une solution alternative : la création de sociétés de projet (SPV), sortes de coquilles capitalisées grâce à la cession de quelques actions que l'Etat détient dans des sociétés, et qui achèteraient du matériel militaire à l'armée pour le lui louer aussitôt (des avions de transport A400M et des frégates multimissions). D'où une rentrée d'argent immédiate dans les caisses de la Grande Muette, permettant de compenser l'argent des fréquences. Un amendement a été inséré dans la loi Macron pour lever les obstacles juridiques à leur mise en place.
Les sociétés de projet « présentent des avantages, mais pas celui de faire des miracles financiers : elles sont consolidées », a mis en garde Michel Sapin à l'Assemblée, le 18 mars. En clair, elles pèsent sur le déficit public. « Tout le monde le sait désormais », a renchéri Christian Eckert le 15 avril devant les sénateurs. Bercy souligne aussi les surcoûts engendrés (frais de gestion, de structure, de conseil...) ainsi que le montage peu orthodoxe. « C'est la Grèce sans le soleil ! », prévient un cadre de Bercy. Dans le passé, la Grèce a utilisé des sociétés de projet pour masquer de la dette... avant d'être « rattrapée par la patrouille ».
Tout cela, la Défense ne le nie pas. Encore récemment, Laurent Collet-Billon, le délégué général pour l'armement, a rappelé les enjeux du débat : oui, les SPV coûtent, oui elles pèseront sur la dette de l'Etat, mais faute de crédits budgétaires en bonne et due forme, il n'y a pas d'autre alternative si l'on veut éviter l'accident de trésorerie dès la rentrée. D'autant que le problème ne se pose pas que pour 2015 (« Les Echos » du 2 avril).
Une proposition tardive
Pas de crédit budgétaire en bonne et due forme ? A voir. Le ministère des Finances se dit désormais résolu à en débloquer, si besoin en fin d'année via le collectif budgétaire. « S'il s'agit seulement de gagner quelques mois, voire une demi-année pour 2 milliards d'euros, autant mettre des crédits budgétaires. C'est notre position », a indiqué Christian Eckert, toujours au Sénat. Mieux, Bercy propose de remplacer certaines recettes exceptionnelles par des crédits budgétaires sur la durée restante de la programmation militaire. L'argent de la vente des fréquences serait alors affecté non plus à l'armée, mais au budget de l'Etat. Et si des soucis de trésorerie se font jour d'ici au collectif, on pourra toujours puiser dans la réserve de précaution.
Problème, « la Défense traîne des pieds car elle ne croit plus Bercy », décrypte un proche du dossier. Pour la convaincre de renoncer aux sociétés de projet, Michel Sapin aurait même formalisé sa proposition dans une note blanche transmise au secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale. Combien ? Quand ? Pour la Grande Muette, rien n'est clair. Qui plus est, les sociétés de projet présentent un avantage qui va bien au-delà de 2015, vu que la loi de programmation militaire prévoit encore quelques milliards de ressources exceptionnelles d'ici à 2019...
On verra donc mercredi si la dernière proposition de Michel Sapin l'emportera. Si tel est le cas, on ne manquera pas de se demander pourquoi elle est parvenue si tard. Selon nos informations, les Finances avaient évoqué initialement l'hypothèse de crédits supplémentaires, mais en les promettant pour... le 1er janvier 2016 ! « Cette solution avait le mérite pour Bercy de ne pas mettre en péril les objectifs de réduction du déficit pour 2015 », selon une source proche des Finances. Peu convaincu, François Hollande aurait donné son feu vert aux SPV.
Du côté de la Défense, on fait une autre analyse : malgré tous ses efforts pour raboter le budget de l'armée, Bercy a dû se résoudre à ce qu'elle dispose bien de ses 31,4 milliards pour 2015, comme François Hollande s'y est d'ailleurs engagé. Et donc, pour y parvenir, il n'y a pas d'autre choix que de trouver les 2,2 milliards manquants. Quitte à peser sur la dette, autant alors suivre la voie budgétaire classique...
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Bercy prêt à rajouter des crédits pour passer le cap 2015, la Défense n'y croit pas
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