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Les Experts – Damas

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La déclassification, le 2 septembre en soirée de la note de synthèse nationale de renseignement aura étonné à plusieurs égards. D’une part, ce type de note est rarement ouverte au domaine public et elle est en soi indicative d’une volonté d’ouverture, alors que les services ont traditionnellement une culture de secret particulièrement développée.

D’autre part, certains n’y verront aucune « preuve » en soi : commençant par un état de l’art qui n’apprendra rien à ceux qui s’intéressent un tant soi peu aux arsenaux syriens (tant les sources ouvertes sont relativement abondantes), elle est suivie d’une analyse militaire de la frappe chimique et sa contextualisation. La note se termine par ce qui semble l’hypothèse la plus probable.

Au final donc, pas de sorties de spectromètres de masse ; pas de compilation rapport d’analyse des sols, des cheveux ou des urines évoquées dans le document de synthèse ; pas de photos satellite ou autres ; pas de retranscription de témoignages. Ce qui, pour certain, serait indicatif que la France ne dispose, en fait, pas de preuves – le poisson serait ainsi noyé dans la note. En conséquence et à les suivre, toute possibilité de frappe en serait non seulement illégale mais aussi illégitime.

C’est toutefois un point de vue singeant le droit pénal mais qui ne semble d’aucun secours à l’international. Pourquoi ? Premièrement, parce que la déclassification d’une note de synthèse n’est pas celle des preuves qu’elle évoque, certaines de ses preuves relevant sans doute de moyens de collecte nationale qu’il serait imprudent de révéler.

Deuxièmement, parce que n’étant ni chimistes, ni biologistes ni analystes du renseignement, nombre des critiques de la valeur de ces preuves seraient bien en peine de les interpréter. Pour le dire autrement, l’affaire est tellement technique que même si les preuves étaient mises en place publique et commentées par des spécialistes, elle seraient de toute manière critiquées, voire considérées comme truquées (1). Il n’est de pire sourd que celui qui veut entendre.

Troisièmement, parce qu’en fait, il n’y a pas de doutes. Une journaliste me demandait hier soir si la valeur des preuves divulguées était supérieure à celle des preuves américaines présentées aux Nations unies avant l’intervention de 2003. La comparaison parait pertinente mais elle ne l’est pas – on ne cesse d’ailleurs, mal à propos, de comparer l’affaire irakienne et l’affaire syrienne, tant les enjeux comme les objectifs d’une attaque sont différents. Avant que Colin Powell n’entre dans la salle des NU, aucun massacre n’avait été commis. Or, ne serait-ce qu’à lire MSF, 3 600 patients hospitalisés en quelques heures dans plusieurs hôpitaux et 355 décès, ce n’est pas rien.

Quatrièmement, l’analyse militaire est comparable à l’analyse médicale préalable à l’établissement d’un diagnostic. Elle reste un « art fondé sur la science » en raison notamment du fait que la zone soit en guerre et que le cours des événements y est naturellement obscurci : la Syrie est la pire zone de guerre actuelle sur la planète, qu’elle ne soit pas touchée par le brouillard de la guerre aurait été étonnant. Mais il faut aussi raison garder : une attaque coordonnée en des points multiples ; avec une pareille amplitude ; dans des zones relativement cloisonnées ; et suivie d’opportuns bombardements et d’une manoeuvre de forces a tout d’une attaque de nature étatique. Si le doute est permis pour des attaques touchant quelques personnes, il ne l’est plus à cette échelle. Qu’Al Assad indique que certains de ses soldats ont été gazés et qu’il aurait été stupide dans de pareilles conditions de lancer l’assaut n’y change rien : l’armée syrienne n’est pas précisément connue pour protéger ses soldats en opération.

Il est légitime de s’interroger et il serait tout à fait légitime de refuser le principe même de frappes pour une série de raisons tactiques, politique voire même humanitaires, en raison des risques de dommages sur les populations civiles. Il est tout aussi légitime de s’interroger sur l’origine des frappes : sont-elles le fruit d’une décision directe de Bachar Al Assad ? Celle de quelqu’un de son entourage qui aurait voulu lui nuire ? Le résultat d’une directive mal interprétée ?

Il n’en demeure pas moins que, d’un point de vue juridique, l’affaire est claire : tant qu’Al Assad n’évoque pas un accident dans sa chaine de commandement, il est, en dernier ressort et en tant que chef d’Etat, responsable. D’un point de vue historique et décisionnel, c’est moins clair. La note de synthèse tranche en impliquant directement sa responsabilité : après tout, elle est là pour donner un état de l’art de la situation utilisable par l’exécutif, pas pour entrer dans un débat académique.

Nous ne sommes pas dans un film policier : tomber sur un flagrant délit ou voir Al Assad s’effondrer en larmes en avouant est peu probable dans les conditions du conflit. Si tous les questionnements entendus, donc, sont légitimes, le débat qui nous occupe a de toute manière quitté les sphères du questionnement scientifique depuis longtemps : une bonne partie de ceux qui réclament des preuves seront sans doute aussi les premiers à les remettre en question, non pour de saines raisons de recherche d’objectivité mais parce que leur agenda est autre.

Sans doute existe-t-il de meilleures manières de défendre un refus d’intervention que de remettre en cause les bases même de la logique et de l’analyse, y compris militaire.




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