Grands programmes
Une croissance du trafic qui ne se dément pas et qui pousse la compagnie aérienne dominante, Turkish Airlines, à se doter de 400 nouveaux avions d’ici 2020. La situation géographique du pays, pivot entre l’Europe, l’Asie, l’Afrique et la Russie coïncide de plus en plus avec le centre de gravité du trafic aérien mondial. Situé au beau milieu de l’Atlantique dans les années 70, en raison des échanges entre les Etats-Unis et l’Europe, il tend à se déplacer vers l’est, où le trafic en Asie prends de plus en plus de poids. Les autorités turques entendent bien profiter à plein de cet emplacement qu'ils jugent idéal.
Pour résumer, ce pays de 74 millions d’habitants, qui ambitionne de passer dans dix ans du 17ème au 10ème rang des premières puissances mondiales, "rempli toutes les conditions", selon Marwan Lahoud, pour pouvoir multiplier les partenariats économiques avec la France. D’autant que les grands projets aéronautiques civils et militaires se bousculent. A l’horizon 2023, date du centenaire de la proclamation de la République de Turquie, le pays prévoit de faire aboutir un nombre vertigineux de programmes via une feuille de route très précise. Avion de combat de 5ème génération (autrement dit, les successeurs du Rafale), hélicoptères de transport, drone MALE, avion régional, satellites d’observation et de télécommunication… Est-ce seulement réaliste ? A l’heure où les géants Airbus et Boeing marquent une pause dans le lancement de nouveaux grands programmes, l’occasion semble de toute façon trop belle pour ne pas la saisir…
Ces projets sont de plus portés par un réel dynamisme de l’aéronautique en Turquie, en voie de structuration. "Ils pourraient avoir les moyens de leurs ambitions", estime Marwan Lahoud. La Turquie possède son Gifas : le Syndicat des industriels de défense turcs (Sasad), qui compte 162 adhérents et représente un chiffre d’affaires de 4,8 milliards de dollars (soit 10% de celui du Gifas). Ces sociétés sont concentrées à Ankara, Eskisehir, Istanbul et Izmir. Qui plus est, la Turquie a aussi l’équivalent d’un Airbus Group, avec la société Turkish Aerospace Industries (TAI), possédée par la Fondation des forces armées turques et le sous-secrétariat à l’industrie de défense.
Les PME chassent en meute
Des sociétés privées se sont multipliées, comme Kale (sous-traitant dans la motorisation), Roketsan (armes, munitions, roquettes…), Alp Havacilik (pièces de moteur), Turkish Technic (maintenances des appareils)… Et surtout, au-delà la production industrielle, le pays souhaite monter en gamme et investir massivement dans la R&D. Une approche qui le distingue d’un certain nombre d’autres pays, notamment la Tunisie. Organismes publics qui soutiennent la R&D, clusters régionaux, zones de développement technologiques… La Turquie ne s’érige pas en terre de production industrielle low cost mais bien comme un partenaire industriel de premier plan.
"On ne peut de toute façon pas croire durablement à un Eldorado avec un coût du travail peu élevé", estime Marwan Lahoud. Le président du Gifas voit avant tout la Turquie comme une opportunité pour les PME désireuses de réaliser des transferts de technologies. "Il est important pour la pérennité et la compétitivité de la supply chain française, que les PME aillent chercher de l’activité à l’étranger, qu’elles diversifient leurs débouchés. Il serait même suicidaire de n’envisager la Turquie que comme une terre de délocalisation". Il est trop tôt pour mesurer l’impact de cette mission en termes de contrats et de partenariats. Mais elle distingue une fois de plus la filière française aéronautique, capable de chasser en meute comme bien peu d’autres secteurs tricolores sont capables de le faire.