C’est désormais une quasi-certitude : Hervé Guillou, ancien de la filiale défense d'Airbus Group, devrait succéder fin juilletà Patrick Boissier à la tête de DCNS, le champion français du naval de défense (3,36 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2013, 13.600 salariés). Le PDG laisse à son successeur un groupe en bonne santé, qui affiche 13,2 milliards d’euros de carnet de commandes et une hausse de 40% de son chiffre d’affaires en quatre ans. Mais le chemin reste encore long pour assurer définitivement l’avenir du groupe. Si l’aspect capitalistique, avec la prise de contrôle ou non par Thales, est du ressort de l’Etat actionnaire et pas du PDG de DCNS, celui-ci ne manque pas de chantiers à mener. Revue de détail en quatre points.
- Gérer les reports de commandes françaises
Si la loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019 n’a pas marqué de coupe catastrophique dans les commandes passées à DCNS, elle a tout de même étalé les livraisons des six sous-marins nucléaires d’attaque Barracuda, l’achèvement du programme étant repoussé de deux ans, de 2027 à 2029. Patrick Boissier évoquait en septembre 2013 un impact équivalent à 500 emplois. Il reste aussi des incertitudes sur le rythme de production des onze frégates multi-missions (FREMM) : selon la décision finale sur la cadence adoptée (d’une tous les 10 mois, on passerait à 14 mois, voire tous les 18 mois), l’impact social et financier sera plus ou moins fort. La décision sur le sort des trois dernières FREMM est même repoussée au-delà de la LPM. Si ces trois navires n’étaient finalement pas commandés, le coût pourrait atteindre 900 millions d’euros, expliquait Patrick Boissier.
- Gagner la bataille de l’export
Ce fut le joli coup du début d’année : la vente de quatre corvettes Gowind à l’Egypte a montré que DCNS n’a pas perdu la main à l’export. Mais la concurrence reste redoutable, comme l’a montré l’échec à Singapour fin 2013 pour un contrat de sous-marins face à l’allemand TKMS. Les prochaines échéances s’annoncent décisives. Le gros morceau est évidemment le contrat saoudien Sawari III, pour lequel DCNS espère placer six frégates multi-missions (FREMM) et cinq à six sous-marins. Le groupe vise aussi une vente de trois sous-marins en Pologne, là encore face à TKMS, qui part favori. Le groupe français espère aussi une commande de trois frégates de défense antiaérienne au Qatar. Il dispose, avec sa gamme de patrouilleurs et corvettes Gowind, d'une nouvelle arme redoutable à l'export.
- Réussir la mue de DCNS dans le civil
Diversifier DCNS dans les énergies marines renouvelables (hydroliennes, énergie des vagues, énergie thermique des mers…) et le nucléaire civil : le défi stratégique lancé par Patrick Boissier est osé. Son successeur va devoir prouver que DCNS est bien pertinent sur ces nouveaux métiers, qui sont désormais logés dans une division spécifique « Energie et infrastructures marines ». Le pari n’est pas gagné d’avance : des dérives de coûts et retards sur des contrats nucléaires civils ont plombé les comptes de DCNS l’année dernière, faisant chuter sa marge de 7,1 à 5%.
- Créer un Airbus du naval ?
On pourrait rajouter un quatrième défi, peut-être le plus ardu : imposer DCNS comme acteur d'une consolidation européenne, un peu sur le modèle du rapprochement annoncé le 1er juillet dans la défense terrestre entre le français Nexter et l'allemand Krauss Maffei Wegmann (KMW). L'Europe a une vingtaine de chantiers de taille significative, contre neuf aux Etats-Unis, et des groupes qui se livrent une concurrence destructrice (DCNS, TKMS, l'espagnol Navantia, l'italien Fincantieri...), alors même que les groupes américains ne sont quasiment pas présents sur le marché export.
Faut-il marier DCNS et son concurrent TKMS dans un Airbus du naval, par exemple ? Charles Edelstenne, alors patron de Dassault Aviation (actionnaire de DCNS via sa participation dans Thales) mettait en exergue début 2011 la conséquence possible d’une telle fusion : « Une question se poserait : quel chantier naval vous fermez ? France, Allemagne ? Je préfère Allemagne, pour votre information.»