"Je faisais partie des unités qui ont pris d'assaut l'Hyper Cacher, le 9 janvier, porte de Vincennes. Avant l'intervention, il y avait beaucoup de tension dans nos rangs mais je n'ai pas senti de peur. Après tout, nous faisons ce métier pour vivre de tels moments... Chef de colonne ou négociateur, tout le monde connaît son rôle, codifié, répété cent fois, mille fois, à l'entraînement.
Chez nous, les têtes brûlées, les "Top Gun" qui roulent à fond de train à moto et se la jouent en solo, n'ont pas leur place. C'est pour cela que la plupart d'entre nous sont pères de famille. Aux yeux de la hiérarchie, c'est même un critère de sélection. Ainsi, chacun est conscient de ce qu'il risque de perdre à l'instant où il s'élance. Ce millième de seconde supplémentaire qui permet de résister à l'emportement et au risque inutile est une garantie de sécurité pour les autres. N'oublie jamais que ta vie dépend des gestes de ton voisin. Et inversement...
"C'était lui ou nous"
D'habitude, nous misons tout sur la négociation. Ce jour-là, face à Coulibaly, la situation se présentait différemment : comme dans une opération de guerre, c'était lui ou nous. Voire lui et nous : il avait une vingtaine de bâtons d'explosif dans un sac. Juste avant l'assaut, j'ai vu mes copains se détourner pour envoyer des textos à leurs proches. J'ai téléphoné à ma femme. D'habitude, je ne le fais jamais. Mais cette fois, la part de risque dépassait celle que nous prenons d'ordinaire, quand nous allons chercher des "forcenés", des paumés dépassés par la vie ou des braqueurs pris au piège au petit matin.
Quand tout s'est terminé, j'ai rappelé mon épouse. Elle pleurait. Comme des millions de gens, elle avait suivi l'assaut à la télévision. Le lendemain, en allumant pour la première fois la télé, j'ai réalisé l'ampleur internationale de la crise. J'en ai eu le vertige. Nous avions traversé cet événement planétaire dans notre bulle, sans en prendre la mesure car nous étions ?dans l'oeil du cyclone?, au sens littéral de l'expression.
La frontière entre la réussite et l'échec
Les nuits suivantes, j'ai eu du mal à dormir. Et je n'ai pas été le seul. En fait, il m'a fallu une semaine pour me remettre et reprendre un rythme de vie normal. L'opération était saluée comme une réussite totale. Et pourtant, je ne pouvais m'empêcher de penser à ce quitte ou double pour la vie des otages. Je le revivais encore et encore. J'ai conscience de la frontière, si fragile, qui sépare la réussite de l'échec dans une pareille opération.
Oui, il faut de l'entraînement et de la détermination, autant de facteurs qui se maîtrisent, mais nous devons compter aussi sur une part de chance. J'ai réalisé tout cela d'un coup en voyant devant moi cette femme enceinte qui hurlait. Que se serait-il passé si...? La hiérarchie nous a proposé un soutien psychologique. A ma connaissance, aucun de nous n'a accepté. Personne ne veut donner le sentiment de flancher.
Avec mes enfants, j'ai dédramatisé. Je pensais que ça avait marché. Et puis, un soir, il y a quelques jours, j'ai trouvé un petit mot dans la poche du jean de mon fils, dans le linge sale, comme s'il voulait que je le trouve. Au milieu de ses interrogations d'ado couchées sur le papier, cette phrase : "Je ne suis jamais sûr que papa rentrera le soir."
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"Je faisais partie des unités qui ont pris d'assaut l'Hyper Cacher"
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