Cocorico ! Le Rafale est le "meilleur avion du monde". À la fois intercepteur, défenseur, ce chasseur-bombardier "excelle en appui feu à basse altitude", tandis que sa version aéroportée lui permet d’animer "une force de projection à des milliers de kilomètres de sa base". Cocorico et bravo à la "Team Rafale" (Dassault Aviation, Safran, Thales) qui, 13 ans après sa mise en service - et malgré 13 ans de "French bashing" - vient de vendre coup sur coup 24 de ces avions de combat à l’Égypte et 36 à l’Inde. Chez Dassault, où l’on sable le champagne après avoir connu l’amertume et les douches froides, on se prend à rêver. Ce double succès devrait débloquer d’autres interminables négociations : Qatar, Émirats arabes Unis. Et pourquoi en Malaisie ou en Indonésie ?
Cocorico et merci (aussi) à l’Amérique et à sa politique étrangère dont les méandres, les trahisons et l’illisibilité permettent au coq gaulois, longtemps réduit à gratter ses ergots, de s’envoler. Et de voir triompher sa petite merveille très coûteuse, contre les concurrents de Boeing et de Northrop Gruman.
Et Snowden changea la donne
L’hyperpuissance américaine est sans égale. Mais elle a un coût : l’arrogance, l’hubris qui lui font oublier parfois jusqu’au bon sens. Brésil, décembre 2013 : à force de lobbying auprès de l’état-major, le Pentagone a réussi à discréditer le Rafale - survendu à Lula par Nicolas Sarkozy -, comme précédemment en Corée du Sud avec George Bush en personne à la manœuvre. Mais voilà qu’éclate une vilaine histoire d’espionnage. Grâce aux révélations d’Edward Snowden, employé de la NSA, n’apprend-t-on pas que l’Agence de surveillance américaine a intercepté (entre autres) les communications de Dilma Rousseff et de ses collaborateurs ?
Scandale d’État. La Présidente brésilienne annule sa visite à Washington. Et recale sa commande de 36 F-18 Super Hornet de Boeing au profit du Gripen suédois de Saab. Officiellement "moins cher", mais moins performant. Perte sèche pour Dassault (également sur les rangs) comme pour Boeing : 5,5 milliards de dollars. Le team Rafale médite la leçon. Le pot de fer américain écrasera toujours le pot de terre français … à moins de jouer sur la faiblesse américaine vis à vis de ses "grands amis": soutien élastique, alliance de revers, défense dégradée.
Géostratégie française payante
Exemple de soutien élastique? La politique vis-à-vis de l’Égypte, considérée aujourd’hui comme un verrou contre l’islamisme. Grands défenseurs de Moubarak, meilleur allié depuis les accords de Camp David avec Israël en 1978, les États-Unis l’ont abandonné au profit des Frères musulmans lors du "printemps arabe", mais n’ont pas su apprécier leur niveau d’impopularité dû à leur exécrable gestion. Conséquence : un embargo militaire et un ralliement tardif au général Al Sissi arrivé à la tête du pays par un coup d’Etat militaire. Déçu par l’Amérique, le maréchal Sissi s’éloigne de Washington. Et décide de diversifier ses fournisseurs pour moderniser son armée. D’où le contrat signé avec la France (cofinancé par les Émirats arabes et l’Arabie saoudite) portant sur 24 Rafale. L’Amérique comptait sur ses F16. Déjà équipé de Mirage 2000, le Caire choisit des avions tricolores pour combattre le djhiadisme en Libye, protéger ses frontières avec la bande de Gaza et sécuriser le Canal de Suez.
C’est aussi le souvenir d’un soutien aléatoire qui a motivé le contrat avec l’Inde. Retour en 1999. En guerre contre le Pakistan, l’Inde se souvient encore comment les bombardements - à 4.000 mètres - des Mirage 2000 équipant son armée de l’air lui permirent de repousser les Pakistanais sur les hauteurs de Kargil, la région contestée du Cachemire. Mais elle se rappelle surtout le veto de la France à des sanctions de l'ONU au lendemain de ses premiers essais nucléaires en 1998. Alors même que la diplomatie américaine, fervent soutien du Pakistan, s’opposait à l’entrée dans ce club très fermé. Aujourd’hui encore les F15, F16, F18 ou F35 de Boeing ne sont pas bienvenus sur le sol indien où Washington rêve de couper les ailes des avions tricolores.
Retombées de l’accord États-Unis-Iran
Mais c’est surtout à l’avenir que l’Amérique risque de voir lui échapper des marchés qu’elle croyait acquis. Pour prix de son "alliance de revers" avec l’Iran. Car si les États-Unis ont pris la tête d’une coalition contre l’État islamique qui menace les pétromonarchies du Golfe, ces mêmes pays, naguère alliés privilégiés de l’Oncle Sam, dénoncent à longueur de médias sa "trahison", son "lâchage" à cause de l’accord qui reconnaît à l’Iran, l’ennemi juré et le rival pour l’hégémonie de la région, le droit à des équipements nucléaires. Et ils s’inquiètent du risque de voir les 150 milliards de dollars que représentent la levée de l’embargo sur ses avoirs bancaires iraniens affectés au financement des milices et du terrorisme chiite.
Rien de tel avec la France qui, du Mali à l’Irak, mène une lutte acharnée contre les djihadistes dans des "OPEX" -opérations extérieures type opération Serval - qui représentent aussi des vitrines ("combat proven") pour ses Rafale. Mécontent, dit-on, que l’Égypte lui ait soufflé le premier contrat de Rafale, le Qatar va-t-il passer la commande des 24 appareils que l’on disait finalisée en février? Washington réussira-t-il à contrer la vente avec ses F15 (avec mise à disposition de pilotes américains pour le training)?
Prudent, l’Élysée se borne à dire que "la commande indienne devrait en appeler d’autres". Avec les revirements, les petites trahisons et les changements de stratégie de la diplomatie américaine dans l’arc de crise, l’hypothèse est désormais sérieuse.
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Vente du Rafale: la France peut dire merci à Obama
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